samedi 19 janvier 2013

L'affaire Arif et ses implications


Deux jours sont passés depuis la publication de mon témoignage et surtout depuis le verdict de la Cour d’Appel qui a acquitté Hassan Arif. Cette affaire, comme je l’ai précisé n’est pas terminée, mais un semblant de polémique s’en est suivi. Essayons d’en tirer ensemble des points sur la base desquels des débats constructifs peuvent naître.

Tout d’abord, oui Hassan Arif, comme tout autre citoyen, du moment qu’il a été innocenté par la Cour d’Appel de Rabat le 17 janvier 2013 a le droit encore une fois à la présomption d’innocence pour le crime de viol. Je remercie les personnes qui ont insisté sur l’importance de cet aspect. Et j’ai pris le soin de revoir mon témoignage pour en retirer toute affirmation qui lui dénie ce principe élémentaire.

Penchons nous maintenant sur l’objet même de la plainte : le viol. Face au mensonge continu et à la mauvaise foi totale de l’accusé qui nie même les faits les plus évidents et pour lesquels la justice dispose de preuves sans conteste (tests ADN, sous-vêtements sur lequel des prélèvements ont été faits, communications téléphoniques), nous n’avons qu’une version des faits et c’est celle de la plaignante.

Si la plaignante s’est tue aussi longtemps, c’est parce qu’elle affirme qu’à la suite du viol, Hassan Arif lui a promis de « couvrir sa honte sociale» en échange de son silence : « Setrini nsetrek ». Une phrase qui n’est pas si étonnante dans notre contexte social et qui bien sûr, du fait de la position et du pouvoir que détient l’accusé prend un sens beaucoup plus fort.
Ce silence qui l’aurait maintenue dans une relation abusive, où la seule chose qu’elle attendait c’est d’être « couverte », et que sa réputation soit sauve. Quitte à divorcer tout de suite après.

Je pourrais comme un bon nombre de femmes marocaines l’assener à coups d’accusations et de reproches et lui dire que : Ce n’était vraiment pas le bon choix à faire. Elle aurait dû porter plainte le jour même, elle n’aurait pas dû se taire aussi longtemps. Comment a-t-elle pu accepter une telle situation avec un tel homme ? Et puis comme un bon nombre d’hommes marocains (dont certains sont juges et avocats), je pourrais penser, voire dire tout haut : Qu’elle n’est sûrement pas une victime dans cette affaire, qu’elle l’a cherché et que si elle a continué à lui parler même après cette supposée agression sexuelle, c’est que ce n’était pas un viol, mais un rapport consenti. Je dirais aussi comme je l’ai lu sur certains commentaires que cette femme est sûrement une manipulatrice qui cherchait à piéger un « bon parti » et une fois qu’elle n’a pas réussi à le faire, elle a décidé de le poursuive en justice.

Quelle facilité avec laquelle, encore une fois, on choisit de se réfugier derrière son écran, dans le confort de ses préjugés. On s’érige alors en juge et arbitre d’une affaire et on applique encore une fois la présomption de culpabilité à la femme. C’est cette même présomption de culpabilité que j’ai vu peser le jour du procès et celle-là même qui m’a révolté plus que tout. Ce ton de voix du juge en posant à la plaignante des questions sur le déroulement de l’histoire sous-entendant un manque de pudeur et de respectabilité de la plaignante. Présomption qui se transforme en affirmation dans l’avocat de l’accusé qui a dit : « Mais que fait une femme dehors avec un homme à 9h30 du soir ? », « Quel type de femme accepterait de l’accompagner à un café ? De monter dans sa voiture ? et j’en passe.

Peut-être est ce pour ces raisons que j’ai choisi de soutenir cette jeune femme aussi fermement. Non il n’est jamais trop tard pour dénoncer un viol. Non il n’y a pas de délai au-delà duquel la plainte de viol n’est plus recevable. Dans cette affaire, nous avons la mauvaise foi d’un homme d’un côté, représentant du peuple qui plus est et puis, le témoignage d’une jeune femme. Permettez-moi d’accorder du crédit à ses paroles et de demander à ce qu’il y ait un procès équitable, loin de toute présomption de culpabilité de la femme ou de préjugés sociaux.

En conclusion, j’ai assisté au procès en question avec le plus grand des hasards, en tant que simple citoyenne, sans connaître ni la plaignante, ni l’accusé. J’avais été sidérée d’apprendre que cette affaire durait depuis des années sans en avoir entendu parler auparavant. Et je suis encore plus surprise aujourd’hui de voir qu’en partageant mon simple témoignage sur ce procès, celui-ci devienne l’élément déclencheur d’un « buzz » autour de l’affaire.  Dans tout autre pays où la presse, les citoyens et leurs représentants suivent et participent de près à la chose publique, mon témoignage (qui de part sa nature est subjectif) se serait rapidement perdu au milieu d’une dizaine d’articles de presse. L’affaire aurait fait trembler la scène médiatique, associative et politique. Elle aurait créé une polémique au sein du parlement. Et cet homme n’aurait sûrement pas continué à exercer tranquillement ses fonctions de député et de président de commune sans s’inquiéter d’un quelconque impact de cette affaire sur sa carrière politique et sur son statut de représentant du peuple.