vendredi 18 janvier 2013

Procès Arif, la suite...


Aujourd’hui la première image qui m’accueille au réveil est celle du sourire de Hassan Arif en quittant la Cour qui venait de l’innocenter.
Une partie de moi voudrait presque me faire croire que ce n’était qu’un cauchemar. Mais mon témoignage écrit noir sur blanc m’attend sur le bureau et me rappelle mes émotions d’hier.
Ce texte que vous avez lu et que j’ai rédigé est un simple témoignage, il n’est en aucun cas un article de presse ni un communiqué juridique. Je l’ai écrit pour exorciser cette peine, cette incompréhension et cette rage qui m’habitaient. J’invite donc naturellement tous les lecteurs à le prendre pour ce qu’il est et rien de plus.
Je prends mon téléphone, compose le numéro de la plaignante, et m’inquiète quand elle ne répond pas. Différents scénarios dramatiques m’envahissent. Je l’ai laissée dans un état déplorable hier.
Hier, elle ne croyait plus en l’existence d’une justice. Hier la loi, la nouvelle constitution et les beaux discours sur le changement au Maroc lui ont paru de gros mensonges. Hier elle en voulait à toute la société marocaine et répétait : « ça ne m’étonne pas que dans ce pays, des femmes et des jeunes filles perdent tout espoir et se suicident ».
Je reçois un bip de sa part qui m’évite de broyer du noir plus longtemps. Je la rappelle et parle à une femme forte, qui ne lâchera rien et ira jusqu’au bout pour obtenir justice. Elle me demande de la rejoindre à la Cour d’Appel de Rabat où le procureur général l’attend. Elle me dit qu’elle a une bonne nouvelle pour moi.

Et moi aussi, j’y vais pour lui porter de bonnes nouvelles : Une coalition d’associations et d’organisations de la société civile est en train de se former en ce moment même pour la soutenir. Le dossier ne sera pas « classé » comme on a essayé de le faire à plusieurs reprises depuis le début de cette affaire. Je passe devant la salle où a eu le lieu le procès hier et je me remémore la liste affichée à l’entrée annonçant tous les dossiers qui allaient être traités ce jour-là.

Savez-vous, qu’hier seulement, dans la salle 4 de la Cour d’Appel de Rabat, se sont déroulés 23 procès dont la plaignante est une jeune femme ou une mineure et dont l’objet de poursuite est le viol (avec ou sans enlèvement, défloration et autres circonstances aggravantes) ?

J’aperçois le petit Fahd courir vers moi, sa mère le suit. Sa bonne nouvelle : Le procureur a fait appel, ses avocats la soutiennent et elle est prête à tout, témoigner à visage découvert, raconter son histoire et surtout prête à continuer à se battre. Je rencontre le procureur général, le remercie pour ses interventions émouvantes la veille. Il me répond : « tout ce que j’ai dit venait du cœur. Je t’assure que je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Et la première image que j’ai eue ce matin est celle de cette pauvre femme et de son fils. »

Pour conclure, beaucoup de choses pourront être reprochées à cette jeune femme et sa parole sera constamment remise en question. On lui a demandé et continuera à lui demander : pourquoi n’a-t-elle pas porté plainte le jour même du viol ? Pourquoi a-t-elle accepté de revoir l’accusé ? Pourquoi s’est-elle tue aussi longtemps ? Pourquoi devrait-on la croire sur parole qu’il s’agit d’un viol ?
Et moi je nous invite tous à aussi nous poser d’autres questions : Pourquoi notre société applique-t-elle la présomption d’innocence à l’homme mais cherche à faire peser la présomption de culpabilité de la femme jusqu’à ce qu’elle prouve son innocence ? Pourquoi devrait-on croire un homme, représentant du peuple, qui ment depuis des années à la justice ?  Jusqu’à quand voterons-nous pour des hommes pareils et les laisserons-nous nous représenter ?